Laurence Devillers

Née en Bourgogne en 1962, Laurence Devillers baigne dans les sciences. Sa mère est maîtresse de conférences en physiologie végétale à l’Université de Paris et son père, centralien très porté sur l’éthique, officie au CEA et à l’IPSN. Dès son plus jeune âge, elle les questionne sur l’humain, la conscience.Elle obtient sont baccalauréat de mathématiques et physique en 1981 au lycée Lakanal de Sceaux, les neurosciences tâtonnent encore. Elle s’oriente vers les premières licences MIASS, dont un des cours porte sur la linguistique, et d’informatique en Sorbonne. « L’informatique paraissait très ouverte et dynamique, et il y avait quasiment autant de filles que de garçons », se souvient la chercheuse dont les parents ne veulent faire aucune différence dans l’éducation de leurs enfants.

Elle se voit déjà concevoir objets et lieux par simulation informatique. Mais en DEA à l’Université Paris Saclay, elle suit un cours qui va sceller son destin de chercheuse. On y traite de phonétique, d’interprétation de spectrogrammes vocaux et autres aspects de la langue et de sa modélisation. « C’était extraordinaire ! De là, je me suis orientée vers la recherche sur le langage par des outils de traitement automatique. » L’enseignant de ce module, Jean-Sylvain Liénard, alors directeur du LIMSI, sera son directeur de thèse. 

Laurence Devillers débute sa thèse sur des projets européens dédiés à l’acoustique et aux premiers modèles d’apprentissage de Markov appliqués à la linguistique.

Après un passage par l’antenne parisienne du Stanford Research Institute, ou elle travaille sur un système d’apprentissage du français, elle décroche des contrats de recherche puis un poste de maître de conférences à l’Université Paris-Saclay, en 1995, où elle élabore des systèmes de dialogue humain-machine, pour la SNCF notamment. En 2000, elle se penche sur la modélisation des émotions dans la voix et, en 2006, obtient son habilitation à diriger des recherches sur ce sujet.

En 2012, après un an à l’UFR de sociologie de Sorbonne Université, elle rejoint le LISN où elle pilote l’équipe Dimensions affectives et sociales dans les interactions parlées. « J’ai toujours navigué dans des domaines où on manie subtilement l’interaction sociale, la psychologie et le comportement cognitif pour améliorer les systèmes de reconnaissance de la voix et des émotions. Cela oblige à être curieux et c’est exactement pour cela que l’on fait de la recherche. »

 

Elle présente

Il faut nous y préparer : demain, robots, agents conversationnels (chatbots) et autres poupées humanoïdes vont détecter nos émotions avec de plus en plus d'acuité. Si nous sommes malheureux, ils nous remonteront le moral ; si nous sommes seuls, en difficulté, ils se feront aidants. Ces « amis artificiels » vont prendre une place grandissante dans la société. Or ils n'ont ni émotions ni sentiments, ni hormones de désir et de plaisir, ni intentions propres. À l'instar de l'avion qui ne bat pas des ailes comme un oiseau pour voler, nous construisons des machines capables d'imiter sans ressentir, de parler sans comprendre et de raisonner sans conscience.

Si leur rôle peut être extrêmement positif, notamment dans le domaine de la santé, les risques de manipulation sont par ailleurs réels : dépendance affective, isolement, perte de liberté, amplifi­cation des stéréotypes (80 % de ces artefacts ont des voix, des noms - Alexa, Sofia - et des corps de femmes, qui en font des assistantes serviles ou des robots sexuels)...  

Seront-ils un prolongement de nous-mêmes ? Jusqu'où irons-nous pour programmer une émergence de conscience artificielle ? Et l'éthique dans tout ça ? Mêlant technologie, philosophie et neurosciences, Laurence Devillers pose les questions centrales de responsabilité sur l'application de ces robots « émotionnels » au sein de la société et les enjeux qu'ils représentent pour notre dignité humaine.